I. Les Havres de Gaz
Sous un ciel ensoleillé et avec l'aide de cinq remorqueurs, le Traiano Knutsen, long de 299 mètres, est entré dans le port de Carthagène, en Espagne, dans la matinée du mardi 15 février 2022.
Chargé du gaz naturel liquifié dans le port de Corpus Christi, Texas plus de deux semaines avant, c’était en train de terminer un voyage de 5,100 miles nautiques. La cargaison du gaz naturel (pour la plupart la méthane) avait été extrait et refroidi à une température de -162°C (260°F) nécessaire pour le liquéfier et l’expédier en bateau. Dans le terminal espagnol, il serait “régazifié” pour être distribué à des fins telle que la production électrique, la production d’énergie industrielle et le chauffage.
Avec le début de l’hiver le prix de gaz en Europe a flambé à des niveaux sans précédent, en atteignant un prix maximum de €180.27 l’heure megawatt sur le marché “Dutch TTF Futures Trading Hub” le 21 décembre 2021. En effet, le prix du gaz naturel au marché européen avait déjà grimpé régulièrement pour la plupart de l’année, et a battu des nouveaux records entre le 3 mars et le 5 octobre (€15.52 à €116.02 l’heure megawatt, une augmentation de plus de 700%) avant de baisser et rebondir aux hauteurs jamais vus avec l’approche de l’hiver.
Le prix du gaz en Europe dépassait le prix du gaz en Asie d’une façon si avantageuse que des méthaniers avec des contrats court-termes ont abandonné leurs destinations asiatiques initiales. Ils se sont ruées en direction des ports européens.
L’union européenne, qui importe plus de la moitié de son énergie de l’extérieur de ses frontières, y compris 90% de son gaz naturel, confrontait l’hiver avec des bases réserves, et la demande a fortement augmentait.
Plusieurs facteurs ont contribué à l'augmentation de demande pour du gaz naturel, notamment une pénurie du gaz aux réservoirs européens, la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe entre l’Algérie et l’Espagne le 1er novembre 2021 à cause des tensions géopolitiques entre l’Algérie et le pays de transit Maroc, une génération énergétique sous-performante des éoliens et centrales nucléaires français, et un taux de remplissage extrêmement bas de la part de Gazprom (société d’État russe) sur deux routes d’exportation principales à travers l’Ukraïne et la Pologne. Le GNL, dont l’Espagne est l’importateur principale, était en train de plus en plus combler ce vide. En janvier 2022, les terminaux d’importation de GNL étaient utilisés aux niveaux records, atteignant plus de 70% de leur capacité de leur capacité opérationnelle. .
La pénurie a touché tous les domaines de l'économie énergétique européenne. Au début de l'année 2022, les mineurs de charbon de Katowice, en Pologne, ont protesté contre leurs conditions de travail en bloquant les trains approvisionnant les centrales électriques lors d'une action de deux jours, entre les 4 et 5 janvier 2022. Selon le magazine Tygodnik Solidarność, les mineurs travaillaient le week-end et faisaient des heures supplémentaires depuis plusieurs mois sans être correctement rémunérés en raison de la crise énergétique. La même semaine, un soulèvement soudain des citoyens dans le pays d'Asie centrale du Kazakhstan s'est étendu à la capitale d'Almaty en raison de la hausse des prix du carburant. Des bâtiments du gouvernement kazakh ont été détruits avant que les manifestations ne soient violemment réprimées par les forces de sécurité et les renforts internationaux, notamment les parachutistes militaires russes arrivés le 6 janvier 2022.
À la fin du mois de décembre 2021, l’inflation en Espagne avait augmenté de 6.6% par rapport de l’année précédente, poussé considérablement par les prix d’énergie en hausse. Selon les indices de l’INE (l’Institut national de la statistique) républié par El País, le prix d’électricité a augmenté par 74% en 2021, tandis que le prix des carburants liquides ont aussi flambée d’une façon dramatique (23% plus pour l’essence). Cette hausse était sensiblement plus élevée que le taux d’inflation annuel qui a atteint un pic de 5.3% à l’été 2008, enregistré au début de la crise économique espagnole de 2008-2014.
La hausse des prix de l’énergie a été l’un des principaux moteurs d’une inflation remarquable à travers l’Union européenne en 2021. Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, a enregistré un taux d’inflation de 5.3% sur l’ensemble l’UE en 2021, avec une augmentation de 26% des prix de l’énergie, soit la plus forte augmentation de tous les grands secteurs économiques de loin. Le prix moyen d’électricité de gros (le prix au marché d’électricité avant d’être envoyé au consommateur), a augmenté de plus de 500% entre décembre 2020 et décembre 2021 en France, en Italie et en Allemagne selon Statista. Cette tendance diminuerait légèrement en janvier 2022, mais le taux d’inflation au secteur énergétique global ne feraient qu’empirer au début de 2022.
La Russie est le premier fournisseur de gaz naturel de l’Union européenne et assure environ 45% des importations de l’EU (40% de la consommation totale), suivie de la Norvège à environ 20% des importations de l’EU. Les Pays-Bas, qui étaient jadis un grand producteur de gaz naturel, envisage de mettre fin à ses extractions à leur plus grand champ gazier dans la région de Groningue avant la fin de 2022, tandis que la production domestique du Royaume-Uni n’est plus prise en compte depuis le Brexit. En plus de la Russie et la Norvège, des autres pays fournissent l’UE du gaz naturel par gazoduc (notamment l’Algérie) et avec du GNL. Le GNL a constitué environ 25% des imports européens du gaz naturel en 2022, et ce pourcentage est en hausse depuis l’arrivée notable des méthaniers des État-Unis en 2016 et la Russie en 2017. Les États-Unis et la Russie sont respectivement le premier et deuxième producteurs du gaz naturel au monde.
La hausse des exportation de GNL des États-Unis vers l’Union européenne est particulièrement remarquable depuis les premiers livraisons en 2016. Déjà en 2021, 28% des imports du GNL de l’UE provenait des États-Unis. Le mois de janvier 2022 marque un nouveau record pour les cargaisons américaines. Avec 44% des méthaniers aux ports européens, les États-Unis est devenu clairement le premier exportateur de GNL à l’UE et une source d’énergie croissante, qui vise haut de concurrencer avec les exportateurs principales historiquement au gaz par gazoduc. La hausse des exportation de GNL des États-Unis vers l’Union européenne est particulièrement remarquable depuis les premiers livraisons en 2016. Déjà en 2021, 28% des imports du GNL de l’UE provenait des États-Unis. Le mois de janvier 2022 marque un nouveau record pour les cargaisons américaines. Avec 44% des méthaniers aux ports européens, les États-Unis est devenu clairement le premier exportateur de GNL à l’UE et une source d’énergie croissante, qui vise haut de concurrencer avec les exportateurs principales historiquement au gaz par gazoduc.
Voir ci-dessous les routes d'importation de GNL de l'Union européenne de décembre 2021 à février 2022.
Une carte interactive est disponible ici.
La Commission européenne a vanté son partenariat en matière de GNL avec les États-Unis depuis que l'administration Obama a autorisé les exportations de gaz naturel américain en 2016. Celui-ci s'est rapidement accéléré sous l'administration Trump, alors que des terminaux d'exportation de GNL en développement sont entrés en service et que les États-Unis ont mené une politique agressive pour s'imposer comme le premier exportateur mondial de pétrole et de gaz naturel à la suite du boom du gaz de schiste (fracking). Dans le document accessible au public intitulé EU-U.S. LNG Trade (version de février 2022), la Commission écrit : "Depuis la réunion des présidents de la Commission des États-Unis et de l'UE en 2018, les exportations américaines de GNL en Europe ont augmenté de 2418 %", citant des données reçues jusqu'au 2 février 2022. L'ancien secrétaire américain à l'énergie, Rick Perry, a fait une annonce retentissante lors d'une interview télévisée conjointe avec le secrétaire d'État de l'époque, Mike Pompeo, diffusée par CNBC Business le 12 mars 2019 :
“L’énergie américaine ne vient pas avec des engagements de plus. C’est clair que le gaz russe est lié avec des conditions. Nous pensons qu’il est important pour nos amis en Europe, soit ceux de l’Europe centrale, soit ceux de l’Europe occidentale, de savoir qu’ils puissent recevoir du GNL des États-Unis, de Qatar, de l’Australie de n’importe où qu’il provient. Avoir une diversité de combustibles, une diversité des approvisionnement, une diversité des racines. C’est la vraie clé ici. Le GNL américain peut libérer l’Europe de cette “intervention russe”… l’Amérique peut répond aux besoins d’un grand nombre nos alliées.
Le partenariat UE-USA dans le domaine le gaz naturel n’a pas diminué avec la défaite de Donald Trump aux élections présidentielles au novembre 2022. Les exports du gaz naturel américain des États-Unis à l’Union européenne ont atteint un niveau historique en 2021 sous l’administration de Joe Biden et le contrôle du Congress par le Parti démocrate. La capacité d’exportation de ces huit terminaux méthaniers en service est prêt d’augmenter fortement avec un terminal de plus en construction, trois terminaux en expansion et dix autres terminaux en développement ayant reçu un permis de construction du gouvernement fédéral.
La Commission européenne déclare dans EU-U.S. LNG Trade:
“La coopération transatlantique future inclura des actions visant à: supprimer les obstacles inutiles sur l’autorisation du GNL de l’USA… développer des efforts conjoints pour achever des infrastructures et investissements clés manquantes en Europe afin d’améliorer l’accès au GNL, d’établir des consultations régulières et des activités de promotion avec les opérateurs du marché pour faire l’USA le fournisseur principale de gaz en Europe.”
La mise en œuvre d’une stratégie unifié d’importation de gaz naturel (notamment en aidant les États-Unis à devenir “le principal fournisseur de gaz de l’Europe” selon le document de référence) a été à l’origine de tensions majeures à Bruxelles, dans l’ensemble de l’UE et au-delà. En 2014 la Commission a adopté la Stratégie européenne pour la sécurité énergétique afin de réduire la dépendance européenne du gaz naturel russe après l’annexion du Crimée par la Russie et de son intervention militaire dans le Donbas, en craignant des nouvelles ruptures d’approvisionnement en Europe de l’Est, semblables à celles qui se sont produites en 2006 et 2009. Pour augmenter la capacité d’importation le gaz naturel par voie maritime, la Commission européenne a co-financé les terminaux méthaniers à Świnoujście, Pologne et Omišalj (Krk), Croatia avec 332 000 000 € et 124 000 000 € respectivement. D’autres investissements notables ont été réalisés pour le terminal Vassiliko, Cyprus LNG (116 000 000 €), le terminal Revithoussa LNG en Grèce (50 800 000 €) et des gazoducs pour l’importation de GNL en Lituanie (27 400 000 million €).
Tandis que certains pays comme la Pologne, et des dirigeants comme l’ancien-président du Conseil européen Donald Tusk ont fermement plaidé pour une réduction des imports du gaz naturel en provenance de la Russie, le pourcentage des importations de gaz naturel russe dans l’UE a continué à augmenter au cours de la la décennie 2010-2020. L’Allemagne s’est particulièrement attachée à resserrer ses liens avec la Russie en poursuivant le grand projet du gazoduc NordStream 2, qui relie directement les grands champs de gaz en Sibérie à l’Allemagne en passant par la mer Baltique.
Depuis plus d’un demi-siècle, le gaz naturel était un élément essentiel de la modernisation des économies européennes, il constituait une alternative au charbon avec une combustion plus propre, et a remplacé les anciennes sources de gaz produites en tant que sous-produit de la combustion du charbon de des processus de fabrication de l’acier. Alors que la production domestique du gaz naturel dans l’UE continue de décliner, des nombreux décisionnaires européennes misent sur des importations continues de gaz naturel pour répondre à la demande et atteindre les objectifs ambitieux de décarbonisation du Pacte vert européen (une réduction de 55 % des émissions de CO₂ d’ici 2030 en par rapport aux niveaux de 1990, soit une réduction d’environ 30 % moins pour la décennie 2020-2030). Lors du 9ème Conseil EU-USA sur l’énergie le 7 février 2022, Josep Borrell, vice-président de la Commission européen a proclamé:
"Notre travail commun est nécessaire pour accélérer la transition énergétique verte afin de devenir neutre du point de vue de notre climat à l'avenir. A moyen terme, il y a la neutralité climatique. À court terme, c'est la sécurité des approvisionnements en gaz. Les deux choses vont de pair. Nous devons faire face à la situation actuelle à la frontière orientale en gardant à l'esprit l'objectif de décarbonisation de notre bouquet énergétique, car la seule solution durable à la résilience et à la sécurité énergétiques consiste à passer des combustibles fossiles aux énergies renouvelables. C'est la meilleure façon de relever le défi du changement climatique."